Kinshasa, 5 janvier 2025 (ACP). – Les prédictions du musicien poète Lutumba Simaro de l’orchestre Ok Jazz de la République démocratique du Congo ont constitué la toile de fond des analyses d’un journaliste culturel, selon un entretien dimanche avec l’ACP.
« Les ‘’circonstances particulières’’ que nous vivons actuellement en République démocratique du Congo justifient bon nombre de prédictions du poète Lutumba Simaro dans sa musique et ses chansons. Lutumba Ndomanueno Simaro, que j’ai toujours considéré comme le meilleur auteur compositeur de la musique congolaise de tous les temps, avait prédit les évènements auxquels la nation et ses habitants allaient […] être confrontés », a déclaré le journaliste Michel Botowamungu Kalome.
À en croire ce journaliste, Lutumba avait, dans l’une de ses chansons, anticipé sur le phénomène relatif à la prolifération d’églises de réveil, principalement motivée par des ambitions lucratives, tel qu’observé actuellement dans la capitale.
« La République Démocratique du Congo détient sans doute le record mondial du nombre d’églises au kilomètre carré et les prières, chants, cantiques qui s’y échappent ne devraient pas laisser même une seconde au Bon Dieu pour faire la sieste… Comment donc ce Dieu qu’on dit bon n’exauce-t-il pas ces prières en pacifiant la RDC et en donnant du pain quotidien aux Congolais ? », s’est-il interrogé.
Et de poursuivre : « Un homme, un seul, avait déjà répondu en parabole en 1988 à cette question existentielle : Lutumba Ndomanueno Simaro dans sa chanson ‘’Cœur artificiel’’ : Les fleuves et les cours d’eau qui irriguent l’Afrique symbolisent les larmes de mes souffrances ; Quel sacrifice devrais-je encore faire pour que le Bon Dieu entende mes prières ; La distance qui sépare la terre du paradis est trop importante telle que mes prières ne peuvent parvenir au Bon Dieu à cause des bruits des fusées et des avions (Ebale na mingala ezingi mabele ya Afrika, ezali nde symbole ya mpinzoli na pasi na ngai, Sacrifice nini lisusu ngai Ma’ Oze nakosala ? Mosika na mokili nzambe ayoki losambo na ngai te. Mongongo mozipani na makelele ya b’avions na ba fusées, distance ekaboli mokili na paradizo eleki molayi) ».
M. Botowamungu a, dans la même logique, appuyé que Lutumba Simaro avait même effleuré le sujet sur les exactions du M23, soutenu par le Rwanda, et bien d’autres questions qui se posent actuellement. « Le poète avait tout vu, tout compris très tôt. Quand les Congolais déplorent aujourd’hui les 4 millions de morts victimes de la guerre venue du Rwanda voisin, lui semblait déjà habité par la peur de ce drame à venir et le dit dans la chanson « Maya », malgré la paix apparente de l’époque : « La peur du fleuve qui peut tuer est plus grande que celle du cimetière » (Somo ya ebale eleki ya cimetière) », a-t-il poursuivi.
Et de développer : « le Zaïrois de l’époque, noyé dans sa ‘’Loumoussou’’ ou dans sa ‘’Skol tembe nye’’ (noyé dans la bière) n’y avait vu que la complainte d’une femme en rupture conjugale. Personne n’avait imaginé qu’elle pouvait symboliser ce pays aux mœurs tellement corrompues au point de l’éloigner de Dieu et de le mettre hors d’atteinte des prières ! Évidemment personne n’y avait repéré l’allégorie utilisée par l’auteur, en cause : la grande modestie de ce sage qui en est conscient comme il le dit subtilement dans un autre de ses titres ‘’Faute ya commerçant’’ : Le bon Dieu m’a doté d’un physique ingrat, fine comme l’aiguille d’une machine à coudre, au point que même en courroux, je n’impressionne pas l’amante de mon mari » (Nzambe asala ngai moke lokola tonga ya masini mbanda abanga kanda na ngai te) ».
Dans la foulée, démontre le journaliste, Lutumba n’a pas manqué ( dans « Affaire Kiti kwala ») d’attirer l’attention des tout-puissants dirigeants politiques de l’époque sur ce qui pourrait leur arriver au terme de leur vie : « Même si tu manques de tout, pense à t’acheter un lit présentable sur lequel ton corps sera exposé à ta mort/Sinon ta dépouille mortelle sera couverte de honte à cause des moqueries que suscitera le grabat qui sortira de ta chambre pour l’exposition de ton corps » (Ata ozangi nyoso kozanga mbeto ya kitoko te/Mokolo okokufa soki mbeto ya kitikwala/Ebembe na yo ekoyoka soni/Kinshasa makambo/Na ba matanga tomonaka nde makambo/Basusu bakolela bassusu bakotonga mbeto ya moweyi), le poète leur enseignait, en effet, la nécessité de se bâtir une assise morale et une bonne réputation de leur vivant afin d’être pleurés et enterrés dignement. Beaucoup ne l’ont pas écouté et certains sont morts et ont été enterrés en exil. Ils ont, du coup, fait l’objet de blagues douteuses et autres moqueries de la part des Congolais comme l’avait prédit le musicien ».
Guitariste rythmique, auteur-compositeur congolais et membre du groupe musical Tout Puissant OK Jazz, Lutumba Ndomanweno Simaro Masiya a dominé la scène musicale congolaise de 1959 aux années 1980. Il est décédé le 30 mars 2019, rappelle-t-on.
ACP/C.L.
Author(s): acp.cd
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